mardi 11 septembre 2018

Poème @Bleue, J'ai pensé

J'ai pensé

Cette saison
le vent
et les flots à l'envers

J'ai pensé : "vas-y, fais le vite,
efface le temps pour qu'il se plisse,
vas-y, souffle plus fort,
que je puisse attraper deux trois vagues
et les coudre."

C'est le temps qui se glissera à l'intérieur
un sable fin du bord des saisons
un revers d'amain
mon angevin
un ourlet finement cousu
qui se remplira
des poussières qui nous rencontrent

Et puis un son
le temps pleurait
il avait peur

J'ai pensé : "tu y es presque, continue,
souffle, souffle encore plus fort,
il se replie,
il sait qu'il va finir sa vie entre mes plis,
et les épices pour lesquelles je me battais
vont se dissoudre
et le flacon qui les contenait,
forme divine,
va se briser
et le morceau qui disparaît
ne sera jamais remplacé."

Mais cet été va mourir
je le croyais pris au piège
Il a brisé l'aiguille qui pendait autour de mon cou

J'ai pensé : "pourquoi tu continues de souffler,
pauvre fou,
veux-tu que je te pique ?
mais tu ries !
tu as raison,
mes coutures n'ont pas tenu
et mes cicatrices ne s'effacent pas
elles s'agrandissent,
mais tu continues ?
tu me nargues ? tu te moques ?
c'est donc toi que j'entendais !
et tu me réponds
je deviens folle
que le temps n'existe pas pauvre folle."

Et puis des silhouettes sur une bateau à vapeur
avec des chapeaux et de grandes robes
peut-être un voyage à travers le temps
ma pauvre tête à l'envers
avec des balconnières
les fleurs séchées qui ornaient les salons ont rejoint le feu
des balconnières fraîches, rouges
que cet été meurtrier aura épargné
parce que ma main les aura protégées
d'une ombre animale
qui savait
malgré moi
malgré mes envies de tempêtes
qu'après l'été, que je retenais en vain,
il y aurait cet autre automne qui n'existe pas encore
je le sais le vent
le poète à l'arrosoir
et les balconnières promettent des graines
que le vent ira semer où bon lui semble

Mes épices auront brûlé
mais le flacon infirme continue de me boire
il se reconstitue après chaque été mort
amputé
il se reconstruit
plus petit
matière arrachée

Et les hirondelles s'attroupent et les fils balancent
il n'en faut pas plus pour sentir le vertige et la trahison
des images en arrière
des images d'archives désormais
avec des arrêts parfois
comme si j'avais à portée de ma main nouvelle
un bouton pour relancer le film des minutes vers l'avant

J'ai pensé : "il y avait du vent dans mes cheveux d'autrefois, dans mes cheveux d'avant."

J'ai pensé : "n'aies pas peur de lui,
regarde ta balconnière
ta peau en sueur
ta naissance
regarde bien
et le vent te dira que tu n'es plus folle
l'été n'est pas perdu."

J'ai pensé encore : "lance une pièce de monnaie
mais,
je ne l'ai pas fait,
ce vent,
le malicieux,
aurait été fichu de la poser sur la tranche."

Je n'y pense plus à présent. Il pleut enfin.

Aucun commentaire: