lundi 27 août 2018

Extraits de lecture 100%, Ecrire

ÉCRIRE



Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, est née en 1914 à Saïgon (alors en Indochine française) d'une mère institutrice et d'un père professeur de mathématiques qui meurt de dysenterie en 1921. En Indochine, la famille est ruinée et Marguerite rentre en France suivre des études de Droit. Pendant la guerre, elle participe à la Résistance et voit son mari, Robert Antelme, déporté à Dachau et revenir malade du typhus (elle en fera le récit dans un récit La Douleur paru en 1985). A la Libération, Marguerite Duras s'engage au Parti Communiste Français, en est exclue en 1950 mais continue de militer pour différentes causes comme la guerre en Algérie ou encore le droit à l'avortement. Cette année-là elle publie son troisième livre Un barrage contre le Pacifique, roman autobiographique qui sera adapté au cinéma. Elle-même se mettra plus tard à écrire des scénarios (Hiroshima mon amour en 1959) puis passera à la réalisation, adaptant ses propres livres (comme India Song en 1975). Elle écrit également des pièces de théâtre dès 1955 avec Le square puis viendront Des journées entières dans les arbres (1965) et aussi Savannah Bay (1982). Parmi ses livres clé on peut citer Moderato cantabile (1958), Le Ravissement de Lol V. Stein (1964) ou encore Le Vice-Consul (1966). En 1984, Marguerite Duras connaît un immense succès avec son roman L'Amant qui reçoit le Prix Goncourt. Malade de l'alcool depuis les années 80, l'écrivaine renouvelle les cures de désintoxication. Elle meurt à Paris le 3 mars 1996 à l'âge de 81 ans.

Texte sur le derrière de couverture :

"Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit des livres. C'est une solitude essentielle. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit. Je ne parlais de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j'avais déjà découvert que c'était écrire qu'il fallait que je fasse. J'en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Cette phrase : "Ne faites rien d'autre dans la vie que ça, écrire." écrire, c'était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait. Je l'ai fait. L'écriture ne m'a jamais quittée."

Extraits de lecture 100%
:

Quand il y avait du monde j'étais à la fois moins seule et plus abandonnée.
P26

Ce bonheur-là, de mon fils, c'est celui de ma vie maintenant.

C'est curieux un écrivain. C'est une contradiction et aussi un non-sens. Écrire c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. C'est reposant un écrivain, souvent, ça écoute beaucoup. Ça ne parle pas beaucoup parce que c'est impossible de parler à quelqu'un d'un livre qu'on a écrit et surtout d'un livre qu'on est en train d'écrire. C'est impossible. C'est à l'opposé du cinéma, à l'opposé du théâtre, et autres spectacles. C'est à l'opposé de toutes les lectures. C'est le plus difficile de tout. C'est le pire. Parce qu'un livre c'est l'inconnu, c'est la nuit, c'est clos, c'est ça. C'est le livre qui avance, qui grandit, qui avance dans les directions qu'on croyait avoir explorées, qui avance vers sa propre destinée et celle de son auteur, alors anéanti par sa publication : sa séparation d'avec lui, le livre rêvé, comme l'enfant dernier-né, toujours le plus aimé.
P28

Un livre ouvert c'est aussi la nuit.

Je ne sais pas pourquoi, ces mots que je viens de dire me font pleurer.

Écrire quand même malgré le désespoir. Non : avec le désespoir. Quel désespoir, je ne sais pas le nom de celui-là. Écrire à côté de ce qui précède c'est toujours le gâcher. Et il faut cependant accepter ça : gâcher le ratage c'est revenir vers un autre livre, vers un autre possible de ce même livre.

Cette perdition de soi dans la maison n'est pas du tout volontaire. Je ne disais pas : "Je suis enfermée ici tous les jours de l'année." Je ne l'étais pas, ç'aurait été faux de le dire. J'allais faire des courses, j'allais au café. Mais j'étais ici en même temps. Le village et la maison c'est pareil. Et la table devant l'étang. Et l'encre noire. Et le papier blanc c'est pareil. Et pour les livres, non, tout à coup, c'est jamais pareil.
P29

Et le bleu était du bleu innocent des yeux de certains de nos enfants.

Quand un livre est fini - un livre qu'on a écrit j'entends - on ne peut plus dire en le lisant que ce livre-là c'est un livre que vous avez écrit, ni quelles choses y ont été écrites, ni dans quel désespoir ou dans quel bonheur, celui d'une trouvaille ou bien d'une faillite de tout votre être. Parce que, à la fin, dans un livre, rien de pareil ne peut se voir. L'écriture est uniforme en quelque sorte, assagie. Rien n'arrive plus dans un tel livre, terminé et distribué. Et il rejoint l'innocence indéchiffrable de sa venue au monde.
P30

L'institutrice disait parfois ces trous étaient grands comme des chambres, parfois grands comme des palais, que parfois ils devenaient comme des couloirs, des passages, des développements secrets. Que toutes ces choses avaient été faites par les mains des hommes, bâties par elles. Que sur certaines argiles profondes on avait trouvé des traces des ces mains plaquées sur les parois. Des mains d'homme, ouvertes, quelquefois blessées.
- C'était quoi d'après l'institutrice, ces mains ?
- C'était des cris, elle disait, pour plus tard, d'autres hommes les entendre et les voir. Des cris dits avec les mains.
P93

- Comment sait-on cela que vous dites ?
- Comment on le sait, on le saura jamais... On sait. Sans doute parce que toujours on l'a su, toujours on a posé la question et toujours de la même façon on y a répondu. Cela depuis des milliers d'années. A chaque enfant en âge de raison on le dit, on apprend la nouvelle : "Regarde, ces trous, que tu vois, ils ont été faits par des hommes venus du Nord."
- Comme ailleurs on dit : "Regardez les pierres plates de Jérusalem, c'est là que les mères se reposaient à la veille de la crucifixion de leurs fils, ces fous de Dieu de la Judée que Rome jugeait criminels."
P94

 

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