jeudi 16 août 2018

Extraits de lecture 100%, Ad infinitum

AD INFINITUM
ou
comment le tablier de ma mère
se déroule dans ma vie

roman traduit de l'anglais (Australie)
par Marie-Odile Fortier-Masek


 

Née en 1950 à Sidney, l’essayiste et romancière Sue Woolfe (qui ne connaît rien aux mathématiques) est considérée comme l’un des auteurs les plus importants du continent australien. Elle a été successivement enseignante, scripte, éditrice et réalisatrice de documentaires. Ici et à jamais (Painted Woman, Allen & Unwin, 1989), son très remarqué premier roman, a été suivi de Leaning Towards Infinity (Faber & Faber, 1996) publié en français sous le titre Ad infinitum (Le Fil invisible, 2003), et de The Secret Cure (Picador, 2003).

Texte sur le derrière de couverture :

Ad infinitum est une équation à trois inconnues, trois femmes – mère, fille et petite-fille – liées par leur appartenance familiale et le monde étrange des mathématiques.

JUANITA se débat constamment entre ses devoirs de femme au foyer et sa passion dévorante de l’abstraction infinie. Elle se console en se persuadant que son fils Matti va prendre la relève et devenir un grand mathématicien.

FRANCES, meurtrie par les abandons répétés de sa mère, hérite de son génie pour les formes, l’ordre et la magie des nombres. Dans une soif éperdue de reconnaissance maternelle, elle consacre sa vie à poursuivre les hypothèses mathématiques de Juanita et à les faire reconnaître.

HYPATHIE, la fille de Frances, tente de comprendre les liens entre les trois femmes à travers l'exploration courageuse de la maternité et du génie, de l'amour et de la trahison.

Drôle, excitant et intelligent, ce livre a quelque chose de triomphant qui vous donne le vertige, celui ressenti sans doute lorsqu'on tend vers l'infini.

Extraits de lecture 100%
:

La ligne reliant deux points est présente avant même que nous la tracions.
P19

A l'époque, je m'affalais dans les fauteuils, bredouillais, m'incrustais chez lez gens, cherchais à combler les pauses entre les mots de mes collègues, sans trop savoir pourquoi, il était rare qu'on me réinvitât à dîner.
P23

En ouvrant l'invitation, je ressentie ce que les mathématiques m'avaient déjà appris, à savoir qu'un nouvel univers prend vie sitôt qu'un espace est dissocié.
P24

Je roulais des mots sur ma langue, telles de minuscules baies de cassis.
P65

Parfois les meilleures raisons ne sont pas des raisons du tout.
P111

Je pense à tout le temps que je perds alors que je pourrais être en train d'écrire, de peindre ou je ne sais quoi si je suis appelée à devenir célèbre.
P114

D'un côté le désir de continuer à jamais, de tendre vers l'infini et de l'autre celui de se retrouver, une fois au but, sans autre aspiration.
P133

Je vais filmer tout ça.
Qu'est-ce que cela expliquerait ? demandai-je.
Que seul ce que les gens connaissent paraît vrai, dit-elle.
Quand au reste, il paraît improbable.
P134

Nombreux les moments que j'aimerais revivre, histoire de changer le rôle que j'ai pu y jouer. Or, chacun de ces moments devient partie intrinsèque de notre personnalité, et le moindre changement donnerait une personnalité si différente qu'elle n'aurait pu appartenir à l'être que nous sommes devenus.
P147

J'adore penser. Je n'entends pas par là examiner tel ou tel point dans le détail, en peser le pour et le contre ou y réfléchir sérieusement, dit-elle.
P159

Je me disais qu'après tout, mon travail ne revêtit sans doute pas une telle importance. Quand j'ai enfin trouvé ce matin la raison de ma venue, cela n'a rien eu d'une révélation, cela ne s'est pas imposé à moi comme une vérité divine. Cela s'est insinué en moi, m'apprivoisant d'une façon si discrète que, plus tard, j'aurais pu croire que cela avait toujours était là, attendant que je me tourne pour regarder. Je me sentie toute bête de ne pas l'avoir vu plus tôt. Cela semblait réel, physique, impeccablement formé, émanant de moi, tout en n'étant pas moi, inéluctable mais d'une chaleureuse intimité. Comme un enfant.
P258

Sans doute remuai-je, grattai-je ou me frottai-je le nez, un de mes réflexes du corps qui a intégré la pensée, mais veut qu'on se rappelle son existence.
P264

Il en a toujours été ainsi pour moi, le savoir s'en va et s'en revient, aussi calme que l'eau. Parfois, il me comble de ses faveurs, parfois il m'abandonne. Alors je m'arrête, au milieu d'une phrase, ayant perdu mes repères. Je redoutais ces passages à vide. Quand j'étais seule, peu m'importait, car je savais qu'il reviendrait.
La réponse était là, comme depuis toujours, aussi évidente que la conjoncture de ma mère après tout ce travail. L'esprit se tourne et la voit. Pour peu que je me tourne au bon moment, pourquoi ne verrais-je pas la réponse à tout, la réponse à ma mère, à mon frère ? Mais je ne voyais jamais ces réponses. Tout ce que je sais, tout ce que je saurai jamais, relève des mathématiques.
P265

Il ne s'agit pas juste d'organiser son temps de façon différente. Un homme peut voir les choses ainsi, pas une femme. Pour une femme, il s'agit de réorganiser son âme.
P269

Ses yeux levés rappelant ceux d'un chat, des yeux qui vous cherchait dans la pièce, un regard dont l'intensité vous isole de votre univers.
P374

La mer était si noire que je n'aurais pu dire où elle devenait ciel.
P393

Mon professeur disait qu'il y en a qui toute leur vie devront se contenter de trouver des exemples intéressants.
P433

Nous ne parlons que de nos enfances. Il semblerait que tout ce que nous ayons en commun, c'est d'avoir été jadis, des enfants.
P443

Je suis loin, bien loin d'être près du but. Je vois parfois cette conjoncture miroiter. Parfois seulement. Sitôt que je regarde, elle s'évanouit. L'ai-je réellement vue scintiller juste avant les douleurs de l'accouchement ? Pourquoi ne puis-je m'en souvenir ? Ni même me souvenir de ce moment d'exaltation où elle a surgi dans mon champs de conscience, me donnant l'impression que tout était si simple... N'aurais-je jamais que le souvenir d'avoir presque découvert quelque chose ?
P447

Un paysage comme celui-ci finit à la longue par devenir votre paysage intérieur.
P452

Parfois, les idées se précipitent, bouleversent tout sur leur passage. Je les redoute autant que je les aime.
P453

Il m'arrive de me dire que le modèle de la conjoncture est déjà en moi, et qu'il ne me reste plus qu'à attendre qu'il se manifeste.
P453

C'est si facile de lui plaire, si difficile de me plaire.
P467

Avec le sevrage, ce flot entre nous faiblira. Je suis aux prises avec mes regrets. Regret de n'avoir jamais saisi le moment, regret de n'avoir jamais dit que je devrais vivre pleinement ces instants avec mon bébé, regret de savoir que ces instants avec lui ne reviendront jamais. Au lieu de cela, j'étais toujours impatiente, je n'avais qu'une envie, revenir à mes mathématiques. Je voulais vivre et, pour moi, les mathématiques étaient la vie. Le temps a donc repris le bonheur qu'il me tendait et tout ce qui me reste ce sont de misérables griffonnages dans un cahier.
P467

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